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Concours de nouvelles : Une expérience Finlandaise
19 mai 2010

2ème PRIX: Suomen Rakastaa/ Un Amour Finlandais

Par Nathalie Boulhol

Je m’appelle Hélène et j’ai 83 ans. Souvent je repense à ma vie ou plutôt à mes vies dans la Vie. Et quelle Vie ! Mon Dieu, quelle Vie ! Quel bonheur ! Un mélange de bien-être, d’amour et de passion. J’ai été si heureuse que parfois cela m’effrayait. Et si un jour, ce bonheur s’était arrêté.

Je repense à ma jeunesse et je me mets à en feuilleter l’album. Aujourd’hui, c’est "Suomen Rakastaa"-Un Amour Finlandais.

Me voilà donc en route pour Rovaniemi en Laponie finlandaise. Adieu le sud, ses quartiers cosmopolites, son effervescence, son art de vivre tout en excès, sa mer fougueuse et son soleil généreux ! Vous allez me manquer ! Mais un vrai périple m’attend et je suis excitée comme une puce.

J’embarque en gare d’Avignon en plein mois de décembre pour une traversée nocturne en train de la France à l’Allemagne. Ce n’est pas l’Orient Express mais tout comme. L’aventurière que je suis déambule entre sa couchette-placard et le très kitch wagon restaurant avec ses rideaux en dentelle et ses lampes de chevet oranges posées sur des tables ornées de nappes et de napperons.

Au petit matin, j’arrive à Hambourg. Je ne parle pas un mot d’allemand mais je finis par trouver ma correspondance pour Rostock. A destination, je m’octroie un petit tour d’horizon dans cette ville tout au nord-est de l’Allemagne sur la mer Baltique. Les maisons de briques rouges avec leurs toits en triangle et leurs façades zébrées de planches noires, rouges ou vertes me font penser à l’Alsace. Peu à peu, au fil du voyage, au fil des paysages, je prends conscience et je m’imprègne de ce nouvel environnement et de mon épopée dans le Grand Nord.

Le Grand Nord que je finis par atteindre après une « croisière » à bord d’un ferry de la Silja Line en pleine mer Baltique avec pour cap Helsinki, la capitale de la Finlande. A l’image de cette mer du nord, la traversée est calme, placide et presque ennuyeuse. Ma quiétude et ma langueur sont parfois troublées par des sortes de bruits abyssaux. Cette mer étant si peu profonde, si peu agitée, tel un lac, que le bateau semble racler le fond! Les mêmes paysages reviennent sans cesse : une mer d’eau douce parsemée d’une multitude d’îles et d’îlots où trône parfois, sur de gros rochers gris, un petit phare ou une cabane de pêcheur en bois rouge ou jaune. Le soleil est rasant. A peine pointe-t-il son nez au-dessus des immenses forêts d’épicéas et de bouleaux. Je découvre les côtes sauvages, désertiques et épurées de cette mer froide et sans vie. Tout est si endormi, engourdi !

Cette torpeur ambiante prend fin à mon arrivée à Helsinki avec la magnifique vue de la célèbre cathédrale blanche illuminant le port de la ville paré d’une rangée de bâtiments aux façades jaunes, bleues et blanches. Il s’agit de l’Hôtel de Ville et du Palais Présidentiel. Le cadre est imposant et grandiose. A peine débarquée, je suis alors mon petit plan touristique. Je remonte Esplanadi, un parc au coeur de la ville, tout en longeant la rue des grandes marques du design finlandais : Marimekko, Iittala, Pentik, Aarikka. Finalement je rejoins la grande avenue qu’est Mannerheimintie pour arriver devant la gare ferroviaire « Helsingin rautatieasema », un austère et imposant bâtiment avec quatre grandes statues d’apparence stalinienne qui en gardent l’entrée.

Mon périple semble toucher à sa fin. Il ne me reste plus que onze heures de trajet et neuf cents kilomètres à parcourir ! J’embarque à bord du « Pôle Express » destination le Pôle Nord, le Cercle Polaire Arctique. Cette ascension du Pôle Nord me fait penser à une traversée du désert. Un désert non pas de sable mais un désert de forêts et de lacs, de lacs et de forêts avec quelques villes ou villages perdus au milieu de ces forêts et de ces lacs. Plus le train avale les kilomètres et plus, à l’image de l’habitat, la végétation se raréfie. Les forêts s’éclaircissent, les arbres sont de moins en moins hauts. Aussi, peu à peu, dans l’obscurité de la nuit polaire, se dessinent, à mes yeux et dans mon esprit, un pays pas comme les autres, un paysage singulier, uniforme, blanc et gelé. La nature est gigantesque, omniprésente et la neige, le froid, eux aussi envahissent, paralysent et recouvrent tout, du sol jusqu’à la cime des arbres.

« Tervetuloa » – Bienvenue donc au Pôle Nord avec comme éphéméride : 23 décembre - moins 23 degrés - au moins 3 fois 23 centimètres de neige. A 23 ans tout juste, une valise pour seul bagage et mon ordre de mission en poche : un stage de vétérinaire au zoo de Ranua, petite bourgade au sud-est de Rovaniemi, me voilà au coeur d’une grande aventure. Ca va être fantastique…mais je suis folle, qu’est-ce que je fais là! Dépaysement total pour la petite française que je suis, moi, la fille du soleil, de la lumière et des couleurs, avec ma peau tannée, mes cheveux noirs, mon bonnet et mon écharpe bigarrés!

Il arrive alors comme ça, de façon soudaine, imprévue dans cette gare comme dans ma vie. Il avance vers la salle d’attente, ignorant le va-et-vient des Finlandais et des touristes du monde entier venus fêter Noël au Pays du Père Noël : « Hyvää Joulua ». Il prend son temps, il me fixe, je ne fais que le regarder. C’est à peine si j’entends sa voix : « Tu es Hélène! ». Je reste là, plantée, pétrifiée et muette. Une impression de chaleur m’envahit, mon ventre papillonne. Je veux fuir loin, courir, courir…dans ses bras. C’est lui ! Il est venu me chercher. C’est lui que j’ai depuis des mois par mail, par téléphone préparant pendant des heures cette mission, partageant nos quotidiens et nos cultures si différents. On se connaît déjà tellement. Il s’appelle Toimi et c’est un vrai coup de foudre !

Les jours suivants, nous ne cessons de nous voir. Quelque chose se passe et va inévitablement arriver. Je me sens un peu perdue, déboussolée mais je sais au fond de moi ce que je ressens. Je ne peux l’ignorer. Ca m’obsède. J’y pense tout le temps. Aussi, nous finissons par nous cacher dans sa petite cabane en bois rouge, son « mökki », au bord d’un lac gelé bordé d’une forêt enneigée et glacée. Dans un grand lit douillet, nous nous laissons porter par nos coeurs et nos corps. Il est doux, fougueux, attentionné. Il est doué, il fait ça bien. J’aime sentir ses mains encerclant mon visage, caressant ma nuque et remontant dans mes cheveux, ses mains sur mon corps frissonnant, ses mains se promenant jusqu’à mes seins tendus par ses caresses et ses baisers. J’aime voir ses yeux emplis de désirs. Je me sens attirante et il me rend belle. Je suis toute à lui. Nos corps et nos âmes ne font plus qu’un. On oublie tout comme dans la magie d’une éclipse. C’est bon d’être là. Le temps prend son temps. C’est indescriptible, indicible : des heures de vrai bonheur.

Deux amants complices pour lesquels tout se passe naturellement, sans fard, sans artifice à l’image de l’atmosphère unique et particulière régnant dans ce « mökki » au fin fond de la campagne finlandaise. Les flammes de la vieille cheminée illuminent le désordre ambiant, les canapés rococo et poussiéreux, la vaisselle Iittala dépareillée et ébréchée et les vieux bouquins jaunis d’Arto Paasiliina ou les polars de Joensuu. La nature aussi est magnifique, surprenante et simple. La neige ne cesse de tomber et nous avons parfois la visite de quelques rennes et élans. C’est fascinant. Quel beau spectacle ! Chaque moment qui passe nous rend de plus en plus amoureux. Oui, je sais, ça va être compliqué...mais je me dis que ce n’est pas encore l’homme de ma vie, juste un homme formidable. Nous n’avons et l’un et l’autre qu’une envie : ne pas se quitter, rester ensemble, sans arrière-pensée, sans lendemain peut-être, persuadés sinon de passer à côté d’une belle histoire.

Mais comment, justement, imaginer cette belle histoire sans lendemain ?

Jamais. Au grand jamais. Quelques mois de folie pour finalement s’avouer que l’on n’a jamais ressenti ça auparavant. C’est l’histoire d’amour à laquelle on ne s’attend pas. Un coup de foudre incroyable qui vous plonge dans un état d’extrême bien-être et de bonheur. Je découvre tout : un nouvel amour et un nouveau pays. Il m’emmène partout à travers la Finlande : rencontres et expériences inoubliables.

Comme cette journée de stage dans une ferme d’élevage de chiens de traîneau à Rovaniemi. Je fais la connaissance d’une Finlandaise passionnée et passionnante. Toute sa vie se résume en ses chiens. Elle en a une centaine, elle connaît le caractère de chacun et elle en parle comme si c’étaient ses enfants, sa famille. Nous partageons notre amour des bêtes. Elle m’explique tout et voyant certainement mon émerveillement et mon admiration, elle nous propose de nous emmener faire une excursion tout autour d’un lac à Kilpisjärvi, le point géographique où les frontières de la Norvège, de la Suède et de la Finlande se rejoignent. C’est un moment magique à travers l’immensité blanche et silencieuse de ces terres de Finlande. Quelle agréable sensation de liberté que de pouvoir « marcher » sur l’eau, j’entends bien sûr sur l’eau du lac gelé ! Quel havre de paix.

A notre retour, un repas nous attend dans sa « kota », sorte de yourte ou tipi en bois avec en son centre un feu, un barbecue, un « grilli » en finnois, où l’on fait cuire les fameuses « makkara », saucisses finlandaises plantées au bout d’un morceau de bois. Je suis glacée, épuisée, mon visage et mes mains sont rougis par le froid. Non vraiment, la vie est rude ici. Tout ça est très difficile pour moi. Je laisse entendre à Toimi que je ne pourrai pas survivre à ces conditions climatiques.

Alors, blottie dans ses bras, il me raconte la Finlande au printemps, la renaissance de la nature et un paysage tout aussi surprenant. Sous la neige et le froid, la nature est déjà en éveil et commence à pousser. Quasiment du jour au lendemain, les arbres retrouvent leurs feuilles et les violettes jonchent les sols verdoyants. Et chose extraordinaire : les mésanges et les écureuils viennent picorer les quelques graines mises au creux de la main. Tableau idyllique magnifié par le mythique soleil de minuit. Après une longue hibernation, la nature ne s’endort plus. Mais belle et encore et toujours silencieuse, complètement silencieuse, elle occupe tout l’espace.

Toimi a compris. J’aime aussi la ville, ses bruits et son agitation. C’est décidé, je pars la première pour le zoo d’Helsinki et on se donne rendez-vous quelques semaines plus tard à « kahdeksalta Stockmann » c’est-à-dire sous l’horloge de Stockmann, le point de rencontre des « Helsingfors » lorsqu’ils décident de se retrouver en ville. Il s’agit d’une horloge suspendue à l’entrée du grand magasin Stockmann donnant sur une des artères principales de la ville : Aleksanterikatu.

Je l’aperçois et dès le premier regard, le désir nous dévore. Nous n’avons qu’une envie : nous serrer, nous toucher, nous embrasser…nous aimer. Nous ne pouvons résister plus longtemps. Sautant dans un tramway traversant le quartier chic de Kaivopuisto, nous descendons à hauteur du célèbre café Ursula pour rejoindre notre cocon. Montant les escaliers quatre à quatre et après quelques acrobaties pour introduire la clé dans la serrure, nous repoussons la porte du pied et alors nos mains, nos caresses, nos baisers, nos corps se mêlent et s’emmêlent. C’est comme si chacun savait ce qu’attendait l’autre.

...je ressens des trucs hallucinants

Je comprends pas tout ce qui se passe, y a pleins de trucs incohérents

"Il" m'apporte trop de désordre, et tellement de stabilité

Je l'ai dans la tête comme une mélodie, alors mes envies dansent.

(Grand Corps Malade, Comme une évidence

En fin d’après-midi, Toimi m’invite à vivre l’expérience du sauna public du quartier populaire de Kallio, le dernier sauna chauffé au feu de bois. Consciencieusement douchée, je m’aventure dans une grande pièce munie de gradins, tout en bois. Au centre, un grand poêle où l’on enfourne les bûches. Il fait entre 70 et 90 degrés. Trempée de sueur, j’alterne entre douches glacées et transpirations extrêmes ! « Je me purifie ! » mais il va falloir maintenant que je me réhydrate sérieusement !

C’est donc sur un vieux bateau de bois amarré au port de la Place du Marché que nous partageons un «glögi», sorte de vin chaud au goût de cardamone et accompagné de raisins secs et d’amandes. Puis nous dégustons les traditionnelles soupe de saumon et tarte aux myrtilles. Il fait bon et on est si bien dans ce cadre intime, pelotonnés dans une vieille couverture à carreaux. On se réchauffe avant d’affronter le froid extérieur et la rudesse de l’hiver.

Quelles sensations étranges et ambivalentes. Ce pays et ses habitants sont tout en contraste. Dédoublement ou gémellité inévitablement conditionnés par la nature. Interdépendance entre l’homme et la nature. Elle régente tout : la douceur et le naturel de leur art de vivre ; le chaud du sauna, de leur mökki, de leurs délicieuses soupes ; le froid, l’austérité et la brutalité de l’hiver, de la mer gelée, de la nuit polaire.

Brutalité, justement, le jour où il faut s’avouer que cette belle histoire est sans lendemain. C’est aussi foudroyant que notre rencontre. Elle arrive comme ça, de façon soudaine, imprévue dans mon bureau comme dans ma vie. Elle avance rapidement, elle me fixe, je ne fais que la regarder et je sais, je sais que quelque chose va arriver : c’est Elle ! Sa femme et ses deux enfants! En une seconde, tout s’écroule. Je reste là, plantée, pétrifiée, muette. Une impression de malaise m’envahit et mon coeur se déchire. Je sais que je vais le perdre, que je l’ai perdu. Je réalise que je ne pourrai jamais être seulement une maîtresse ou une belle-mère assumant déjà deux enfants pas nés de notre amour. Je savais que ça allait être compliqué. J’ai voulu vivre cette belle histoire avec un homme formidable. Alors j’assume mais j’ai envie de hurler, hurler, de pleurer, pleurer et fuir, fuir…loin. J’étouffe. Un vrai sale coup de la vie !

J’ai 23 ans, une valise pour seul bagage et mon billet retour trempé de larmes en poche. Le printemps est encore timide mais dans quelques semaines, le soleil illuminera les fleurs bigarrées de couleurs multicolores tapissant les sols. La lumière fera scintiller les milliers de sapins habillant les forêts finlandaises.

Pour l’heure, la fille du soleil que je suis, est triste et sombre à mourir.

Finalement, le temps passe, le chagrin s’efface, le vide s’estompe mais je n’ai jamais cessé de penser à ce qu’aurait été ma Vie ou mes vies si j’étais restée. Souvenirs indélébiles, amours éternels…à jamais Finlande, tu resteras dans mon coeur !

Le Jury a aimé:

-La chute de l'histoire: l'aventure amoureuse se déroule si bien que la chute est surprenante, très bien amenée, inattendue.

-Le style recherché, "littéraire", sophistiqué de l'écriture

-La multiplicité des thèmes abordés: les traditions, les caractéristiques, les clichés sur la Finlande mais aussi les couleurs, les saveurs, les sensations et les sentiments

-La justesse/la cohérence/l'à-propos des thèmes abordés, au bon moment dans l'intrigue

-L'ambivalence/le paradoxe de la Finlande qu'on ressent en lisant la nouvelle

-L'insertion de mots typiques (en finnois dans le texte)

-Le respect de la forme traditionnelle de la nouvelle

-Le drame/l'ambiance de l'histoire liés au climat et la nature de la Finlande

-L'opposition froid/douceur/chaleur : on parle du "froid" climatique et on ressent la douceur, la tendresse pour le pays et la chaleur de la relation homme/femme

-L'exotisme d'une région encore plus nordique, l'attrait de la découverte de la Laponie

-Comment les deux rencontres, celle d'un homme et celle de la Finlande, se croisent, se mèlent, s'enrichissent mutuellement

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Commentaires
R
J'ai beaucoup aimé cette nouvelle : on est tenu en haleine par cette belle histoire d'amour et on découvre la Finlande à travers les yeux de l'héroïne. Bravo.
Concours de nouvelles : Une expérience Finlandaise
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